Vendredi 26juillet. Du haut de la tour Eiffelscintille une silhouette. L'évidence est là, dès les premières notes: Céline Dion chante l'«Hymne à l'amour» d'Édith Piaf. Si la surprise s'était ébruitée dans les jours qui ont précédé, les frissons étaient réels lorsque la chanteuse est apparue à l'écran. L'image a marqué les esprits, synonyme d'une cérémonie grandiose et surtout du grand retour de la superstar.
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Car Céline Dion ne pouvait plus le cacher: atteinte du syndrome de la personne raide, maladie neurologique rare qui rigidifie les muscles, elle s'était retirée de la scène pour une durée indéterminée. Elleavait aussi limité ses apparitions publiques, ne dévoilant son quotidien quequelques mois plus tard, dans le documentaire I Am: Céline Dion d'Irene Taylor.
Forcément, son single, sorti le 10octobre dernier, était très attendu. Mais le souvenir de ces Jeux olympiques s'est depuis entaché. Une enquête du service Checknews de Libération rapporte que Céline Dion aurait chanté en play-back, malgré les déclarations de Thomas Jolly et Victor Le Masne, les directeurs artistique et musical des cérémonies.Une thèse étayée par plusieurs personnes du milieu de la musique, qui n'ont pas voulu être citées. Confrontée à ces éléments, l'organisation des Jeux olympiques n'a pas souhaité répondre.
Une impression de perfection
L'un des premiers à avoir examiné la prestation de Céline Dion est Wings of Pegasus, un youtubeur britanniquespécialisé dans l'analyse des prestations live. Dans sa vidéopubliée le 31juillet, il démontre qu'un logiciel de pitch correction(«correction de la justesse») a été utilisé.Or, si le principe est courant dans les performances live, il est permis de penser que les modifications ont été réalisées,cette fois-ci, sur un enregistrement.
En principe, lorsqu'un programme est appliqué à une prestation en direct, toutes les notes sont corrigées de la même façon – le live ne permettant pas de prévoir la note qui suit. Or, ici, la voix de Céline Dion aurait été corrigée à quelques endroits seulement. Le tout donne une impression de perfection, qui trahit les aspérités du live.
Malca, producteur de musique, n'a pas voulu y croire,maisaffirme après plusieurs réécoutes: «Malheureusement, je suis sûr à 99% que Céline Dion n'a pas chanté en live.» Pour en avoir le cœur net, l'ingénieur du son a comparé trois vidéos différentes: la performance de la cérémonie d'ouverture publiée sur YouTube, la version single sortie ce 10octobreet, enfin, une vidéo d'une répétition la veille qui avait fuité sur les réseaux sociaux. Dans les trois cas, il a extrait la voix grâce à l'intelligence artificielle et a appliqué Melodyne, un logiciel de correction d'intonation, pour l'analyser.
«Pas fait subtilement»
Dans les trois cas, c'est indiscutable: il s'agit d'enregistrements. «Peu importe la version, toutes les notes sont bien alignées, les intonations sont les mêmes et les reverbs[effets audioajoutés à un son, NDLR] réagissent plus ou moins de la même façon, explique-t-il. Ce n'est même pas fait subtilementet ça aurait pu être réalisé autrement.»
Pourquoi l'illusion a-t-elle fonctionné pour Céline Dionlà où le play-back d'Aya Nakamura était visible? «Il me semble que la voix a été enregistrée sur un micro dynamique, et non un micro studio, ce qui permet d'être plus proche d'une performance live, indique Malca. De plus, quand on extrait des voix, on peut entendre des artefacts, par exemplesi la voix a été prise dans un endroit ouvert ouclos. Là, par habitude, je dirais que cela a été enregistré dans un studio.» Aussi, contrairement aux hits états-uniens, la chanson française est composéede notes longues et d'unportamento(glissementvocald'une hauteur de note à une autre) qui donnent un aspect naturel à la prestation.
Dans le détail, la version single est «ultramixée», mais reste très proche de celle de la cérémonie d'ouverture, avec «deux petites corrections supplémentaires». Quant aux autres performances, celle dite «live» et la répétition, les ressemblances sont, là aussi, immenses: «Il y a exactement le même piqué, le même vibrato, le même craquement, au même moment, ce qui paraît impossible à reproduire avec autant d'exactitude.»
«Une chanteuse qui ne peut pas chanter»
Sur cette dernière vidéo prise au téléphonela veille de la cérémonie, on peut y entendre Céline Dion chantant sur un enregistrement de sa voix. Cette démarche peut interroger: pourquoi faire une répétition dans ces conditions, c'est-à-dire sur une bande enregistrée? «Cela donne encore des arguments à la thèse du play-back, explique Malca. Dans ce cadre, chantervraiment est une manière d'être réaliste, pour que le vibrato tremble au même moment, par exemple.»
Et c'est aussi une manière cruelle de constater la différence entre la voix réelle et celle enregistrée. «Ce qui m'a fait de la peine, c'est que, sur les notes en voix pleine et haute, elle est obligée de projeter, on sent bien que le vibrato redescend et qu'elle ne peut pas taper la hauteur.Mécaniquement, il semble qu'elle n'est plus capable de le faire. Ça ressemble à une chanteuse qui ne peut pas chanter.»
Le producteur de musique va encore plus loin: pour lui, l'enregistrement de l'«Hymne à l'amour» aurait pu être réalisé il y a quatre ans, lors d'uneperformance réalisée en hommage aux victimes du Bataclan, voire encore avant. «Peut-être même que cette version existait dans un show de Céline Dion, s'interroge-t-il. Car il y a une orchestration particulière, qui est exactement la même que celle de la performance réalisée cinq ans après le Bataclan.»
Il n'en reste que Malca salue la performance. «Le play-back n'en fait pas une autre interprète: c'est toujours le même talent qu'on lui connaîtet on sent tous l'émotion dans son regard, raconte-t-il. C'est ce quifait toute la force des grands, c'est-à-dire que, en direct ou non, cela ne change pas grand-chose à ce qu'on ressent, et c'est phénoménal de le réaliser ainsi. Même quand on est ingénieur du son, on a tous envie de laisser son cerveau de côté et de se laisser submerger par cette émotion artistique. Ce n'est pas juste une histoire de voix.»